Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/476

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gation ; mais qu’au ſurplus, elle eſt complette puiſque j’ai avoué tous mes crimes. Et le ſcélérat ſort en paix !… Et la foudre ne l’écraſe point !

L’affaire alla bon train ; conduite par la haine, la vengeance & la luxure, je fus promptement condamnée & conduite à Paris pour la confirmation de ma ſentence. C’eſt dans cette route fatale, & faite, quoiqu’innocente, comme la derniere des criminelles, que les réflexions les plus ameres & les plus douloureuſes vinrent achever de déchirer mon cœur ! Sous quel aſtre fatal faut-il que je ſois née, me diſais-je, pour qu’il me ſoit impoſſible de concevoir un ſeul ſentiment honnête qui ne me plonge auſſitôt dans un océan d’infortunes ! Et comment ſe peut-il que cette Providence éclairée dont je me plais d’adorer la juſtice, en me puniſſant de mes vertus, m’offre en même-tems au pinacle ceux qui m’écraſaient de leurs crimes !

Un uſurier dans mon enfance veut m’engager à commettre un vol, je le refuſe, il s’enrichit. Je tombe dans une bande de voleurs, je m’en échappe avec un homme à qui je ſauve la vie, pour ma récompenſe il me viole. J’arrive chez un ſeigneur débauché qui me fait dévorer par ſes chiens, pour n’avoir pas voulu empoiſonner ſa tante. Je vais delà chez un chirurgien inceſtueux & meurtrier à qui je tâche d’épargner une action horrible ; le bourreau me marque comme une cri-