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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/92

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eſt-ce t’offenſer, ô mon ſouverain Maître, que de ſupplier ta puiſſance de me rappeler vers toi, pour te prier ſans trouble, pour t’adorer loin de ces hommes pervers qui ne m’ont fait, hélas ! rencontrer que des maux, & dont les mains ſanguinaires & perfides, noyent à plaiſir mes triſtes jours dans le torrent des larmes & dans l’abîme des douleurs ».

La prière eſt la plus douce conſolation du malheureux ; il devient plus fort quand il a rempli ce devoir ; je me leve pleine de courage, je ramaſſe les haillons que le ſcélérat m’a laiſſés, & je m’enfonce dans un taillis pour y paſſer la nuit avec moins de riſque. La sûreté où je me croyais, la ſatisfaction que je venais de goûter en me rapprochant de mon Dieu, tout contribua à me faire repoſer quelques heures, & le ſoleil était déjà haut, quand mes yeux ſe r’ouvrirent : l’inſtant du réveil eſt affreux pour les infortunés ; l’imagination rafraîchie des douceurs du ſommeil ſe remplit bien plus vite & plus lugubrement des maux dont ces inſtans d’un repos trompeur lui ont fait perdre le ſouvenir.

Eh ! bien, me dis-je alors en m’examinant, il eſt donc vrai qu’il y a des créatures humaines, que la Nature ravale au même ſort que celui des bêtes féroces ! Cachée dans leur réduit, fuyant les hommes à leur exemple, quelle différence y a-t-il maintenant entre elles & moi ? Eſt-ce donc