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INTRODUCTION

qui, sans aucune espèce d’appareil, auront bien voulu me donner cette dernière marque d’attachement. La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que, par la suite, le terrain de ladite fosse se trouvant regarni et le taillis se trouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes.

« Fait à Charenton-Saint-Maurice, en état de raison et de santé, le 30 janvier 1806.

« Signé, D. A. F. Sade. »

« Celui qui a écrit celle page d’une si terrible amertume, dit M. Henri d’Alméras, celui qui demandait ainsi de disparaître tout entier, corps et âme, dans l’oubli et dans le néant, n’était certainement pas, à quelque point de vue qu’on le juge, un homme ordinaire. »

Ce n’était pas un homme ordinaire. Il eut des torts considérables surtout envers sa femme ; mais il ne l’aimait pas ; son mariage fut en quelque sorte forcé, et l’amour ne se commande pas. Il n’était point fou, à moins qu’on ne pense comme il l’a dit lui-même dans une comédie :

Tous les hommes sont fous ; il faut, pour n’en point voir,
S’enfermer dans sa chambre et briser son miroir.

Il a dit aussi en un distique-épigraphe qui serait à sa place en épiphonème à ses œuvres :

On n’est point criminel pour faire la peinture
Des bizarres penchants qu’inspire la nature.

S’il se flattait de disparaître de la mémoire des hommes, le marquis espérait qu’avant cela il serait vengé « par la postérité ».

Pendant un siècle, la critique l’a traité fort cavalièrement, s’occupant beaucoup moins des idées que contiennent ses ouvrages que d’inventer des anecdotes qui dénaturent sa vie et son caractère. Pour ce qui concerne sa vie, le Dr Eugen Duehren a dit avec raison : « De Sade, comme individu, ne peut être éclairci que si on l’examine comme phénomène historique. »