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L’ŒUVRE DU MARQUIS DE SADE

Touchant ses ouvrages, M. Anatole France a écrit dédaigneusement : « Il n’est pas nécessaire de traiter un texte du marquis de Sade comme un texte de Pascal. » Quelques esprits libres ont pensé que le mépris et la terreur inspirés par les œuvres du marquis de Sade étaient peut-être injustifiés. Déjà en 1882, dans Virilités (A. Lemerre), Émile Chevé accordait quelque puissance et quelque grandeur aux livres du marquis de Sade :

Marquis, ton livre est fort, et nul dans l’avenir
Ne plongera jamais aussi bas dans l’infâme,
Nul ne pourra jamais après toi réunir
En un pareil bouquet tous les poisons de l’âme…

…Au moins, toi tu fis grand dans ton obscénité,
Viol et parricide, inceste et brigandage
Ruissellent de ta plume, et notre humanité
Sent rugir en ses flancs ta muse anthropophage…

En Allemagne, où Nietzsche, dit-on, n’a pas dédaigné de s’assimiler, lui, le philosophe lyrique, les idées énergiques du marquis systématique, le Dr Eugen Duehren, avec un beau courage, s’est donné la tâche d’éclaircir la vie de de Sade et de faire connaître ses écrits, « C’est le 2 juin 1740, dit-il, qui vit naître un des hommes les plus remarquables du dix-huitième siècle, disons même de l’humanité moderne en général. Les œuvres du marquis de Sade constituent un objet de l’histoire et de la civilisation autant que la science médicale. Cet homme étrange nous a dès l’abord inspiré un vif intérêt. Nous cherchions à le comprendre pour pouvoir l’expliquer, et nous acquîmes bientôt la conviction que le médecin, de même, ne saurait puiser dans un pareil cas les renseignements les plus importants que dans l’histoire de la civilisation. »

Et plus loin :

« Il y a encore un autre point de vue qui fait des ouvrages du marquis de Sade pour l’historien qui s’occupe de la civilisation, pour le médecin, le jurisconsulte, l’économiste et le moraliste, un véritable puits de science et de notions nouvelles. Ces ouvrages sont surtout instructifs par cela même qu’ils nous montrent tout ce qui dans la vie se trouve en étroite connexité avec l’instinct sexuel qui, comme l’a reconnu le marquis de Sade avec une perspicacité indéniable, influe sur la presque