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INTRODUCTION

vouée avec une ténacité prodigieuse. Il avait ses raisons pour cela, sachant bien que la gloire ne lui en serait point ôtée tandis qu’un aveu de sa part aurait justifié aux yeux des contemporains toutes les représailles qu’on n’aurait pas manqué, en ce cas, d’exercer contre lui. On a même, de ces désaveux, un témoignage imprimé. C’est la réponse à Villeterque qui, dans un feuilleton, avait vivement critiqué Les Crimes de l’Amour et avait reproché au marquis d’avoir écrit Justine. De Sade fit aussitôt imprimer une brochure intitulée : L’auteur des Crimes de l’Amour à Villelerque, folliculaire, et jamais auteur n’a protesté avec autant d’énergie contre son propre ouvrage.

Mais j’ai sous les yeux le manuscrit original, et qui n’a pas encore été signalé, de la première version de Justine, le premier jet, le premier brouillon de cet ouvrage avec toutes ses ratures. Le commencement est à la page 69 d’un cahier intitulé cahier neuvième qui renferme d’autres brouillons du marquis. L’œuvre se poursuit dans trois cahiers intitulés respectivement cahier dixième, cahier onzième, cahier douzième, et se termine dans le cahier treizième. La Justine est comprise, par conséquent, dans cinq cahiers.

Le marquis de Sade intitule d’abord son ouvrage : Les Infortunes de la Vertu. Déjà, au verso du fo 451 du recueil manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale, il avait inscrit en marge cette note qui est l’indication de la première idée qui lui était venue d’écrire Justine : « Joignons à l’article des romans — Les Malheurs de la Vertu, ouvrage dans un goût tout à fait nouveau. D’un bout à l’autre le vice triomphe et la vertu est traînée dans l’humiliation. Le dénouement doit rendre à la vertu tout le lustre qui lui est dû et la rend aussi belle (sic) que désirable. Il n’est aucun être qui, en finissant cette lecture, n’abhorre le faux triomphe du crime et ne chérisse les humiliations et les malheurs qui éprouvent la vertu[1]. »

À la suite de son titre, le marquis de Sade indique : « 19e conte », marquant ainsi qu’il a renoncé à sa première idée d’écrire un roman avec ce sujet.

Il ne veut plus en faire qu’un conte, qui sera compris sans doute dans les Contes et Fabliaux du XVIIIe siècle, par un troubadour provençal (manuscrit de la Bib. Nat., ff. 450 verso et 451). C’est de la plus grande partie de ces contes que sont

  1. Note inédite.