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LA MARQUISE DE GANGE

frère ? et quelle opinion auriez-vous d’elle, si elle se rendait à cette coupable effervescence ? Si vous pouviez vous faire une idée des plaisirs célestes que l’on goûte à remporter un triomphe sur soi ! Peut-être est-il bien doux d’être content des autres ; mais croyez qu’il l’est cent fois davantage de l’être de soi-même : cette jouissance-là est à nous, elle nous appartient en entier ; l’autre ne tient qu’aux caprices des hommes, et vous savez le cas qu’il en faut faire. Raccommodez-moi avec mon mari, je vous en conjure, mon cher frère. Si vous saviez combien je souffre de l’idée d’être soupçonnée par lui ! Soyez donc franc vous-même une minute : vous savez bien que je suis innocente ; prouvez-lui donc cette innocence, dont j’aspire si bien à le convaincre. Croyez-vous qu’il n’y aura pas à ce grand procédé autant de délices que vous pouviez en supposer à me corrompre ? Ah ! mon ami, ne me parlez pas des jouissances du vice, quand elles donnent autant de remords.

Mais quand on aura lu le dénouement de cette déplorable histoire, quand on se sera convaincu de toute la perversité du monstre que nous sommes obligés de mettre en action, on ne sera pas surpris de le voir insensible à l’énergique candeur, à la touchante naïveté avec laquelle cette admirable femme venait de s’exprimer.

— Vous exigez de moi des choses impossibles, ma chère sœur, dit-il à la marquise, dont les