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LA MARQUISE DE GANGE

Le chevalier, resté seul, veut faire sortir les demoiselles de la maison ; elles s’y refusent d’abord, et n’y consentent enfin qu’aux instances de la marquise, qui craint d’attirer sur elles la fureur du chevalier.

Dès qu’elle est seule avec lui, elle essaie encore de l’adoucir : — Ô mon frère ! lui dit-elle, en se jetant à ses pieds, que vous ai-je donc fait pour me traiter avec cette barbarie ? vous qui m’aviez toujours paru si doux, vous que je préférais avec tant de franchise et de sincérité ? Le voile de la mort s’étend déjà sur mes yeux affaiblis, laissez-le m’envelopper sans y mettre les mains ; c’est tout au plus l’affaire de quelques jours. Si vous craignez que je n’emploie ce peu d’instants pour divulguer cette sanglante scène, je vous fais le serment de n’en jamais ouvrir la bouche ; serait-ce en ce terrible moment que je voudrais me souiller d’un parjure ? Sauvez-moi, sauvez-moi, je vous le demande, au nom de ce que vous avez de plus cher au monde. — Non, tu mourras ; je te l’ai dit, le sort en est jeté ; ta mort est nécessaire à toute la famille… Mais la marquise, indignée, s’élance impétueusement vers la porte, à dessein de se jeter dans la rue… Le tigre la devance, et la perce de deux coups d’épée dans le sein[1]. Elle chancelle, elle crie au secours ; le forcené redouble, et lui porte cinq autres coups, dont le

  1. Voyez le Procès.