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LA MARQUISE DE GANGE

semée. On aime en ce dernier moment à jeter un coup d’œil rapide depuis le premier jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort ; et l’on est heureux, ce me semble, quand on ne voit dans ce long espace que des joies rares et de fréquents chagrins. Il est bien consolant après cet examen sévère de se croire au moins alors quelques droits de plus aux bontés du Dieu juste qui ne nous attend que pour nous consoler : on serait fâché, je le sens, d’avoir vécu plus heureux. Hélas ! j’observe, dans cet examen rigoureux de ma vie, que si je n’ai pas fait tout le bien que j’aurais voulu faire, je n’ai pas au moins fait le mal dont m’ont accusée mes tyrans. Je dois ces aveux à ceux qui m’entendent ; ce n’est point l’orgueil qui les prononce, c’est la vérité qui les dicte : on aime à montrer l’innocence où les méchants supposèrent le crime. Ô ma mère, qui vous eût dit que vous éleviez votre chère Euphrasie pour devenir aussi malheureuse ! Qui vous eût dit que les soins que vous lui prodiguiez ne deviendraient bientôt que des amorces au crime ? Puisse l’enfant chéri que je vous laisse (elle le baisait en disant ces mots), puisse-t-il vous consoler un jour des malheurs de sa mère ! Et toi, mon fils, que ces effrayantes scènes n’altèrent en rien l’amour et le respect que tu dois à ton père : ce sont des consolations qu’il lui faut un jour, et non pas des reproches. Il n’était pas coupable de ma mort ; il