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LA MARQUISE DE GANGE

n’était pas au rang de mes bourreaux ; ses mains sont innocentes, elles n’ont point tranché le fil de mes jours… Eh ! dois-je me plaindre s’il est détruit ? Ourdi par l’infortune, il n’eût subsisté plus longtemps que pour me rattacher à de plus grands malheurs. Pourquoi celui qui s’éteint pleure-t-il sur la fin de son existence ? Il a tort : il n’aurait parcouru la vie que pour y rencontrer de nouvelles tribulations ; il doit remercier le ciel qui les termine. Ah ! le Dieu qui nous a créés ne sait-il pas quand il faut nous détruire ? Dès que tout ce qu’il fait est juste, pourquoi nous plaindre de ses décrets ? Adorons et ne pleurons point. Ô mon Dieu ! tu le sais, ce fut toujours dans toi que ma confiance fut placée ; ta main dans tous les temps sut essuyer mes larmes : il est impossible que ce soit pour en verser encore que tu tarisses la source de celles que je répandais en t’offrant mes maux sur la terre. C’est avec cette douce confiance que je revole dans ton sein ; daigne m’y recevoir et m’y placer un jour entre cette mère tendre et ce fils innocent que je laisse, non sans inquiétude, traverser si jeune les sentiers épineux de la vie. Garantis-le, grand Dieu, des malheurs dont j’ai été assaillie, préserve-le d’en mériter un jour ; laisse-moi croire, ô mon Dieu, que tous ceux que tu réservais à ma famille se sont épuisés sur moi. Ô vous qui m’entendez, priez pour la triste Euphrasie ; que les mains