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lui eût demandé sa vie ; s’il eût voulu son sang, Justine eût tout donné, tout répandu, désolée de ne pouvoir encore à son gré faire de plus grands sacrifices à l’unique objet de son cœur. Voilà l’amour, voilà pourquoi les Grecs le peignirent avec un bandeau. Mais Justine n’avait jamais parlé, et l’ingrat Bressac était loin de démêler la cause des pleurs qu’elle versait journellement pour lui. Il était bien difficile pourtant qu’il ne se doutât pas du desir qu’elle avait de voler au-devant de tout ce qui pouvait lui plaire ; qu’il n’entrevît pas des prévenances assez fortes, assez aveugles pour servir même ses erreurs, autant que la décence pouvait le permettre, et le soin qu’elle avait de les déguiser toujours à sa mère. Justine, par cette conduite si naturelle à un cœur séduit, avait mérité la confiance entière du jeune Bressac, et tout ce qui venait de cet amant chéri, paraissait d’un tel prix aux yeux de Justine, que bien souvent l’infortunée s’imaginait avoir obtenu de l’amour, ce que lui accordait uniquement le libertinage… la méchanceté, ou, peut-être plus sûrement encore, le besoin dont il la croyait aux affreux projets de son cœur.

Croirait-on qu’un jour il osa lui dire :