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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/19

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père dans une situation si cruelle, qu’il en périt de chagrin ; sa femme le suivit un mois après ; deux parens froids et éloignés délibérèrent sur ce qu’ils feraient des jeunes orphelines, leur part d’une succession absorbée par les créances, se montait à cent écus pour chacune ; personne ne se souciant de s’en charger, on leur ouvrit la porte du couvent, et on leur remit leur dot, en les laissant libres de devenir ce qu’elles voudraient.

Juliette, vive, étourdie, fort jolie, méchante, espiègle, et l’aînée des deux, ne parut touchée que du plaisir de ne plus végéter dans un cloître, sans réfléchir au cruel revers qui brisait ses chaînes. Justine, plus naïve, plus intéressante, âgée, comme nous l’avons dit, de quatorze ans, ayant reçu de la nature un caractère sombre et romantique, sentit bien mieux toute l’horreur de sa destinée, douée d’une tendresse, d’une sensibilité surprenante, au lieu de l’art et de la finesse de son aînée, elle n’avoit qu’une ingénuité… une candeur, qui devait la faire tomber dans bien des pièges.

Cette jeune fille, à tant de qualités, joignait la beauté de ces belles vierges de Raphaël, de grands yeux bruns pleins d’ame