Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 1, 1797.djvu/236

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per son droit que d’oser en jouir comme elle, il serait aussi mal d’agir pour se conserver que pour se détruire ; et l’action que je ferais en détournant la pierre prête à écraser mon voisin, deviendrait aussi criminelle que celle que je commettrais en lui enfonçant un poignard dans le sein ; de ce moment je troublerais les loix de la nature ; de ce moment je m’arrogerais ses droits, en prolongeant au-delà du terme une vie dont sa main puissante avait marqué les limites. Un cheveu, une mouche, un insecte suffit à détruire cet être puissant, dont la vie nous paraît d’une si grande importance. Y a-t-il donc une absurdité à croire que nos passions ne puissent de même disposer légitimement d’une chose dépendante de causes si frivoles ? Ces passions ne sont-elles pas des agens de la nature, comme l’insecte qui tue l’homme, ou la plante qui l’empoisonne ? et ne sont-elles pas également dirigées par les mêmes volontés de la nature ? Eh quoi ! je ne serais pas coupable en arrêtant, si j’en avais le pouvoir, le cours du Nil ou du Danube, et je le serais en détournant quelques onces de sang de leurs canaux naturels ! Quelle imbécillité ! Il n’y a aucun être dans le monde