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femme ; car, encore une fois, ce n’est pas le sacrifice qu’on fait de ses sens à la vertu qui rend heureux ; sans doute il ne peut y avoir de félicité dans une telle contrainte. Ce qui conduit au vrai bonheur n’est donc que l’apparence de cette vertu où les préjugés ridicules de l’homme ont condamné notre sexe. Je pourrais me donner pour exemple à toi, Justine : il y a quatorze ans que je suis mariée, jamais je n’ai perdu la confiance de mon époux ; il protesterait de ma sagesse et de ma vertu sur sa propre vie ; et, jetée dans le libertinage dès les premières années de mon hymen, il n’existe pas dans Paris une femme plus corrompue que moi ; il n’y a pas de jours que je ne me prostitue à sept ou huit hommes, et souvent à trois à la fois ; il n’est pas une maquerelle qui ne me serve, pas un joli homme qui ne m’ait foutue ; et mon époux te jurera, quand tu voudras que Vesta fut moins pure : la retenue la plus entière, l’hypocrisie la plus scrupuleuse, beaucoup d’art…, de fausseté, voilà les moyens qui me déguisent, voilà les ligamens du masque que la prudence place sur mon front, et j’en impose à tout le monde, je suis putain comme Messaline, on me croit sage comme Lucrèce ; athée comme Vanini,