Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 2, 1797.djvu/116

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craint de manquer ; il croit devoir rendre service à ceux dont il appréhende d’avoir besoin quelque jour ; nous, qui n’avons jamais besoin de personne, éteignons cette faiblesse dans nos cœurs, et n’y laissons pénétrer que la luxure, la cruauté, et tous les vices qui doivent naître de ces deux-là, ou les étayer.

Quoi ! Sylvestre, dit Severino, tu crois qu’il faut décidément tuer ses ennemis ? Sans exception, reprend Sylvestre ; il ne doit y avoir ni ruse, ni violence, ni trahison, ni fourberie, qu’on ne doive employer pour y réussir ; et la raison de cela est bien simple : n’est-il pas vrai que cet ennemi me tuerait s’il le pouvait ? — Assurément. — Pourquoi donc lui faire grâce ? La mort que je lui donne n’est plus un outrage, elle est une justice ; je lui épargne un crime ; je me mets absolument à la place des loix ; et en tuant cet ennemi, je remplis positivement le même acte de justice qu’elle ; donc, je ne saurais jamais être coupable. Je dis plus ; je n’attendrai jamais, si j’ai la force en main, que mes ennemis soient bien prononcés pour les tuer ; je me deferai d’eux sur le plus léger soupçon, sur la délation la plus vague, sur la plus futile apparence ; car il n’est pas tems de dissiper l’orage quand il est