Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 3, 1797.djvu/81

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mieux là, dis-je, que chez moi qui formais aussi des sérails ? Où donc est-elle cette sublime justice du sort ? Patience, ce n’est ici qu’un de ses caprices : celui-ci me ruine aujourd’hui, un second me relèvera.

En peu d’heures nous arrivâmes à Tunis ; mon patron me présenta au bey qui donna ordre à son bostangi de m’employer sur-le-champ aux jardins, et mes richesses furent confisquées. Je voulus faire quelques représentations ; on m’objecta que j’étais prêtre d’une religion en horreur à Mahomet, et que jamais on ne rendait ces biens-là. Il fallut se taire et travailler. Ayant à peine trente-deux ans, j’étais au moins dans l’âge de la force, et quoi qu’énervé par mes débauches, je me sentais encore toute l’énergie nécessaire à souffrir patiemment mon sort ; mal nourri, mal couché, travaillant beaucoup, si mon physique éprouvait quelque altération, mon moral, j’ose l’affirmer, n’en ressentait aucune, et je me sentais toujours dans l’esprit la même luxure et la même méchanceté[1] ;

  1. Ces vices-là augmentent de force avec l’âge mais ne vieillissent jamais. On a moins d’énergie pour les mettre en pratique, souvent