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cœur paraît vous emporter, en dépit de vous. Puis, me forçant à m’asseoir, et se plaçant près de moi ; chère fille, me dit-il, tu sais que je ne veux perdre aucune occasion de former ton cœur, et d’éclairer ton, esprit, laisses-moi donc t’apprendre ce que c’est que la reconnaissance.

On appelle reconnaissance, Juliette, le sentiment du retour accordé à un bienfait ; or, je demande quel est le motif de celui qui accorde un bienfait ? Agit-il pour lui, ou pour nous ? S’il agit pour lui, tu m’avoueras que nous ne lui devons rien, et si c’est pour nous ; l’empire qu’il prend dès-lors, loin d’exciter en nous de la reconnaissance, ne pourra plus y faire naître que de la jalousie, il a blessé notre orgueil ; mais quel a été son but en nous obligeant ? Comment ne le pas voir tout de suite ; celui qui oblige, celui qui sort de sa poche cent louis pour les donner à un homme qui souffre, n’a nullement agi pour le bonheur de cet infortuné ; qu’il descende au fond de son cœur, il verra qu’il n’a fait que flatter son orgueil, qu’il n’a travaillé que pour lui, soit en trouvant un plaisir intellectuel plus flatteur à donner ces cent louis à un pauvre, qu’à les garder lui-