Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 6, 1797.djvu/81

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lement pensé à moi, lorsqu’il lui a plû de procéder, avec ma mère, à l’acte de la progéniture ; il ne s’occupait que de lui ; et je ne vois pas là de quoi former des sentimens bien ardens de reconnaissance : ah ! cessons de nous faire plus long-tems illusion sur ce ridicule préjugé ; nous ne devons pas plus à celui qui nous a donné la vie, qu’à l’être le plus froid et le plus éloigné de nous. La nature ne nous indique absolument rien pour lui : je dis plus ; elle ne saurait rien nous indiquer ; l’amitié ne remonte point d’ailleurs ; il est faux qu’on aime son père ; il est faux qu’on puisse même l’aimer ; on le craint, mais on ne l’aime pas ; son existence ennuie, mais elle ne plaît point ; l’intérêt personnel, la plus sainte des loix de la nature, nous engage invinciblement à desirer la mort d’un homme dont nous attendons notre fortune ; et sous ce rapport, sans doute, non seulement il serait tout simple de le haïr, mais beaucoup plus naturel encore d’attenter à sa vie, par la grande raison qu’il faut que chacun ait son tour, et que si mon père a joui pendant quarante ans de la fortune du sien, et que je me vois vieillir, moi, sans jouir de la sienne, je