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Page:Sade - Les 120 Journées de Sodome, éd. Dühren, 1904.djvu/134

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las d’elle la redemandaient sans cesse. À peine fûmes-nous au lit, que nous nous ressouvînmes que nous avions mal à propos oublié de faire réponse au père Gardien, qui peut-être s’irritait de notre négligence, et qu’il fallait au moins ménager tant que nous serions dans le quartier, mais comment réparer cet oubli, il était onze heures passé, et nous résolûmes laisser aller les choses comme elles pourraient. Vraisemblablement l’aventure tenait fort au cœur de Gardien, et de là il était facile d’augurer qu’il travaillait plus pour lui que pour le prétendu bonheur dont il nous parlait, car à peine minuit avait-elle sonnée qu’on frappa doucement à notre porte. C’était le père Gardien lui-même. Il nous attendait, disait-il, depuis deux heures, nous aurions au moins dû lui faire réponse, et s’étant assis auprès de notre lit, il nous dit que notre mère s’était déterminée à passer le reste de ses jours dans un petit appartement secret qu’ils avaient au couvent, et dans lequel on lui faisait faire les millions aux chères du monde, assaisonné de la société de tous les gros bonnets de la maison, qui venaient passer la moitié du jour avec elle, et une autre jeune femme, compagne de ma mère, qu’il ne tenait qu’à nous d’en venir augmenter le nombre, mais que comme nous étions trop jeunes pour nous fixer, il ne nous engagerait que pour trois ans, au bout desquels il jurait de nous rendre notre liberté, et mille écus à chacune, qu’il était chargé de la part de ma mère de nous assurer que nous lui ferions un vrai plaisir de venir partager sa solitude. „Mon père,“ dit effrontément ma sœur, „nous nous remercions de votre proposition, mais à l’âge que nous avons, nous n’avons pas envie d’aller nous enfermer dans un cloître pour devenir des