Page:Sade - Les 120 Journées de Sodome, éd. Dühren, 1904.djvu/359

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„qui ne sait pas que la punition même produit des enthousiasmes et n’a-t-on pas vu des gens bander à l’instant où l’on les déshonorait publiquement ?“ Tout le monde sait l’histoire du Marquis de… qui dès qu’on lui eut appris la sentence, qui le brûlait en effigie, sortit son vit de sa culotte et s’écria : „foutre Dieu,“ me voilà au point où je me voulais, me voilà couvert d’opprobre et d’infamie, laissez-moi, laissez-moi, il faut que j’en décharge,“ et il le fit au même instant. — „Ce sont des faits,“ dit à cela le duc, „mais expliquez m’en la cause.“ — „Elle est dans notre cœur,“ reprit Curval, „une fois que l’homme s’est dégradé, qu’il s’est avili par des excès, il a fait prendre à son âme une espèce de tournure vicieuse, dont rien ne peut plus la sortir ; dans tout autre cas, la honte servirait de contrepoids aux vices, où son esprit lui conseillerait de se livrer, mais ici, cela ne se peut plus, c’est le premier sentiment qu’il a éteint, c’est le premier, qu’il a banni loin de lui, et de l’état où l’on est, en ne rougissant plus, à celui d’aimer tout ce qui fait rougir, il n’y a exactement qu’un pas. Tout ce qui affectait désagréablement, trouvant une âme différemment préparée, s’a métamorphosé alors à plaisir, et de ce moment-là tout ce qui rappelle le nouvel état, que l’on adopte, ne peut plus être que voluptueux.“ — „Mais quel chemin il faut avoir fait dans les vices, pour en être là !“ dit l’évêque. — „J’en conviens,“ dit Curval, „mais cette route se fait imperceptiblement, on ne la suit que sur des fleurs, un excès amène l’autre, l’imagination toujours insatiable nous amène bientôt au dernier terme, et comme elle ne parcourt sa carrière qu’en endurcissant le cœur, dès qu’elle a touché le but, ce cœur, qui contenait