Dirai-je maintenant quel fut Saint-Amant, son caractère, son rôle parmi ses contemporains ? C’est surtout par des comparaisons qu’il est possible de juger les hommes ; l’isolement où les biographes placent nécessairement leur héros semble augmenter toujours les véritables proportions qu’il doit avoir ; pour nous, qui nous faisons de l’impartialité une loi absolue, nous ne voulons point exagérer l’importance d’un poète qui faisoit lui-même assez bon marché de ses œuvres[1].
Saint-Amant, bien supérieur aux Tristan, aux Maillet, aux Pelletier et aux autres poètes de son temps n’est inférieur qu’à Corneille. Représentant d’une école toute libérale, dont Marot transmit les traditions à nos romantiques du XIXe siècle par l’intermédiaire de Molière, de La Fontaine, des contes de Voltaire, Saint-Amant écoute volontiers son caprice et se laisse facilement voir sous ses vers. Il a dû surtout son succès à une originalité puissante, à une verve sans égale, à l’allure vive, ardente, qu’il a su donner à ses vers ; et, dans des genres tout opposés, aucun n’a eu plus de grâce facile et délicate. S’il eût vécu du temps de Boileau et de Racine, il auroit gagné sans doute à suivre les traces de ces grands maîtres ; mort avant leurs premiers écrits, il a mérité au dessus de ses contemporains une place qu’il n’a pas eue, et que l’on pourra maintenant lui assigner, preuves en main, sur cette première édition complète de ses œuvres.
- ↑ Saint-Amant a été, dans ces derniers temps, l’objet de divers travaux : M. Philarète Chasles lui a consacré une étude sérieuse ; M. Théophile Canner lui a donné une large place parmi ses Grotesques ; enfin, M. Xavier Aubryet a fait des recherches et recueilli des matériaux pour un livre en ce moment sous presse.