Page:Saint-Amant - 1907.djvu/74

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Après m’être donné maints coup dessus les doigt,
Après qu’entre les dents j’ai juré mille fois,
Une pointe de feu tombe et court dans la mèche ;
Ravivant aussitôt cette matière sèche,
J’y porte l’allumette*, et n’osant respirer
De crainte de l’odeur qui m’en fait retirer,
Au travers de ce feu puant, bleuâtre et sombre,
J’entrevois cheminer la figure d’une ombre,
J’entends passer en l’air certains gémissements,
J’avise en me tournant un spectre d’ossements ;
Lors jetant un grand cri qui jusqu’au ciel transperce,
Sans pouls et sans couleur je tombe à la renverse.
Mon hôte et ses valets accourent à ce bruit,
Mais de tout leur travail ils tirent peu de fruit ;
Ils ont beau m’ appeler, et d’un fréquent usage
Me répandre à l’abord de l’eau sur le visage,
M’arracher les sourcils, me pincer par le nez,
Et s’affliger autant comme ils sont étonnés,
Je ne puis revenir non plus que si la Parque
M’avait déjà conduit dans la fatale barque.
Je suis tellement froid que mon corps au toucher
Ne se discerne point d’avecque le plancher,
Où gisant de mon long, toute force abattue,
On dirait, à me voir, que je suis ma statue.

Il me souvient encore, et non pas sans terreur,
Bien que je sois certain que ce fut une erreur,
Que la première nuit qu’au plus fort des ténèbres