Page:Saint-Amant - 1907.djvu/78

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Sont autant de chemins à ma tristesse offerts
Pour sortir de la vie et descendre aux enfers.
Le Louvre, dont l’éclat se fait si bien paraître,
N’est à mes yeux troublés qu’un château de Bicêtre,
Le fleuve qui le borde est à moi l’Achéron,
J’y prends chaque bateau pour celui de Caron,
Et, me croyant parfois n’être plus rien qu’une ombre
Qui des esprits sans corps ait augmenté le nombre,
D’une voix langoureuse appelant ce nocher,
Je pense à tous moments qu’il me vienne chercher.

Si je prends quelque livre en mon inquiétude,
Et tâche à dissiper cette morne habitude,
Marot, en ses rondeaux, épîtres, virelais,
Le moqueur Lucian et le fou Rabelais,
Se métamorphosant par certains tours magiques,
Ne sont remplis pour moi que d’histoires tragiques.
Ovide en l’Art d’aimer m’épouvante à l’abord ;
Amour, avec son dard, y passe pour la Mort ;
Avec son dos ailé, pour un oiseau funeste ;
Avec son mal fiévreux, pour une horrible peste,
Et pour une furie avecque son flambeau.
Qui ne sert qu’à guider les hommes au tombeau.

Si, pour me retirer de ces creuses pensées,
Autour de mon cerveau pesamment amassées,
Je m’exerce parfois à trouver sur mon luth
Quelque chant qui m’apporte un espoir de salut,