Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/309

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gloire de Dieu, je me contenterai, en m’adressant à des religieux comme moi, de leur tenir le même langage qu’un païen faisait entendre à des païens tels que lui. À quoi bon, disait-il, ô Pontifes, cet or dans le sanctuaire (Pers., sat., ii) ? À quoi bon, vous dirai-je aussi, en ne changeant que le vers et non la pensée du poëte, à quoi bon, chez des pauvres comme vous, si toutefois vous êtes de vrais Les évêques peuvent se permettre plus de luxe que les religieux dans la décoration de leurs autels. pauvres, cet or qui brille dans vos sanctuaires ? On ne peut certainement pas raisonner sur ce sujet de la même manière pour les moines que pour les évêques. Ceux-ci, en effet, étant redevables aux insensés comme aux sages, doivent recourir à des ornements matériels, pour porter à la dévotion un peuple charnel sur lequel les choses spirituelles ont peu de prise. Mais nous qui nous sommes séparés du peuple, qui avons renoncé, pour Jésus-Christ, à tout ce qui est brillant et précieux, qui regardons comme du fumier, afin de gagner Jésus-Christ, tout ce qui charme par son éclat, séduit par son harmonie, enivre par son parfum, flatte par son goût exquis, plaît par sa douceur, enfin tout ce qui fait plaisir aux sens, de qui voulons-nous exciter la piété par tons ces moyens, je vous le demande ? Quel fruit prétendons-nous en tirer ? Est-ce l’admiration des sols ou les offrandes des simples ? Parce que nous vivons au milieu des nations, avons-nous appris à les imiter dans leurs œuvres et partageons-nous leur culte pour tous ces objets sculptés (Ps. cv, 34) ?

28. Mais, pour parler net, tout cela ne vient que d’avarice qui n’est qu’idolâtrie, et ce que nous nous proposons ce n’est point d’en tirer un avantage spirituel, mais de faire venir les dons chez nous, par ce moyen. Si vous me demandez comment cela se peut faire, je vous répondrai que cela se fait d’une manière tout à fait surprenante ; car il y a une façon de répandre l’argent qui le multiplie ; on le dépense pour le faire venir et on le répand pour l’augmenter. En effet, à la vue de ces vanités somptueuses et admirables, on se sent plus porté à offrir des choses semblables qu’à prier : voilà comment on attire les richesses par les richesses et comment on prend l’argent avec de l’argent ; car je ne sais par quel charme secret les hommes se sentent toujours portés à donner là Luxe des châsses où reposaient les reliques des saints. où il y a davantage. Quand les yeux se sont ouverts d’admiration pour contempler les reliques des saints enchâssées dans l’or, les bourses s’ouvrent à leur tour pour laisser couler l’or. On expose la statue d’un saint ou d’une sainte et on la croit d’autant plus sainte qu’elle est plus chargée de couleurs. Alors on fait foule pour la baiser et en même temps on est prié de laisser une offrande ; c’est à la beauté de l’objet plus qu’à sa sainteté que s’adressent Ornements superflus. tous ces respects. On suspend aussi dans l’église des roues plutôt que des couronnes[1] chargées de perles, entourées de lampes et incrustées de pierres précieuses d’un feu plus éclatant encore que celui des lampes. En guise de candélabres, on voit de vrais arbres d’airain travaillés avec un art admirable et qui n’éblouissent pas moins par l’éclat des pierreries que par celui des cierges dont ils sont chargés. Que se propose-t-on avec tout cela, est-ce de faire naître la componction dans les cœurs ? N’est-ce pas plutôt d’exciter l’admiration de ceux qui le voient ? Ô vanité des vanités, mais vanité

  1. Voici ce que le même abbé Pierre le Vénérable, que nous avons déjà plusieurs fois cité, dit au sujet de ces couronnes dont, à l’époque de Mabillon, on en voyait encore une qui portait soixante-douze cierges, dans l’église de Saint-Remi, à Reims, « on n’allumera les cierges de ces grandes et belles couronnes, de bronze, d’or ou d’argent, qui sont suspendues au milieu du chœur par une forte chaîne, qu’aux cinq principales fêtes de l’année. » Quand ces couronnes étaient petites, on les appelais Herses.