Page:Saint-Bernard - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome 2, 1866.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gueillir de l’élévation ? Elle est prise pour être la mère de Dieu et elle se déclare sa servante, ce n’est pas la marque d’une humilité ordinaire que de ne point s’oublier quand un pareil honneur lui est fait. Il n’est pas difficile d’être humble dans L’humilité dans les hommes est rare. la bassesse de sa condition, mais l’être au comble des honneurs, c’est faire preuve d’une grande, d’une rare vertu. En effet s’il arrive que pour mes péchés ou pour ceux des autres, Dieu permette que l’Église trompée par les apparences, élève un néant comme moi au moindre honneur, ne suis-je point porté à l’instant à oublier qui je suis pour me croire tel que les hommes qui ne voient point le cœur, se sont imaginé que j’étais. Saint Bernard blâme l’ambition et l’arrogance dans les eccelésiastiques. Je crois à l’opinion publique sans m’en rapporter au témoignage de ma conscience ; et, n’estimant point l’honneur aux vertus, mais la vertu aux honneurs, je me crois d’autant plus saint que j’occupe un poste plus élevé. On voit souvent dans l’Église des hommes qui, partis de bas, se trouvent élevés aux plus hauts rangs, et de pauvres sont devenus riches, s’enfler tout à coup d’orgueil, oublier leur basse extraction, rougir de leur famille et méconnaître leurs parents, parce qu’ils sont pauvres. On voit des hommes avides de richesses voler aux honneurs ecclésiastiques se croire de saints personnages dès qu’ils ont changé d’habits quoiqu’ils soient toujours dans les mêmes dispositions d’esprit, et se persuader qu’ils sont dignes du rang auquel leur ambition se trouve élevée, et qu’ils doivent, s’il m’est permis de le dire, beaucoup plus à leurs écus qu’à leurs vertus. Je ne parle point de ceux que l’ambition aveugle et pour qui l’honneur même est un aliment à leur orgueil.

Saint Bernard signale l’orgueil de certains religieux. 10. Mais ô douleur de mon âme, j’en vois beaucoup, après avoir méprisé les pompes du siècle à l’école de l’humilité, devenir de plus en plus orgueilleux, et sous les ailes d’un Maître doux et humble de cœur, se montrer plus insolents dans le cloître et plus impatients qu’ils ne l’auraient été dans le monde. Et ce qui est pire encore, c’est qu’il s’en trouve qui n’auraient pu s’attendre qu’aux dédains et aux mépris s’ils étaient restés dans leur maison, et qui maintenant ne peuvent supporter d’être dédaignés dans celle même de Dieu. Ils n’auraient pu obtenir aucun honneur dans le monde où chacun peut aspirer à les posséder, et ils veulent en être comblés là Saint Bernard blâme les religieux qui se mêlent des choses du monde. même où chacun fait profession de les mépriser. J’en vois d’autres, ce qu’on ne peut voir sans douleur, qui, après s’être enrôlés dans la milice du Christ, s’engagent de nouveau dans les affaires du monde, et se replongent dans les cupidités terrestres : ils relèvent des murs avec un zèle tout particulier et négligent leurs mœurs ; sous prétexte du bien général, ils vendent leurs paroles aux riches et leurs salutations aux dames ; en dépit de l’ordre formel de leur Souverain, ils désirent le bien d’autrui et ne reculent point devant les procès pour conserver leurs biens propres, Saint Bernard blâme les procès des religieux. et ne tiennent aucun compte de ce que l’Apôtre leur dit au nom de leur Roi : « Votre péché est précisément d’avoir des procès les uns contre les autres. Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse tort (I Cor., vi, 7) ? » Est-ce ainsi qu’ils sont crucifiés au monde et que le monde est crucifié pour eux ? Jadis ils étaient à peine connus dans le hameau ou la bourgade qui leur a donné le jour, et on les voit aujourd’hui