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Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/319

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Les mœurs dans la société sont encore ces mêmes rapports, mais dénaturés. La piété filiale est la crainte ; l’amour, la galanterie ; l’amitié, la familiarité.

Une constitution libre est bonne à mesure qu’elle rapproche les mœurs de leur origine, que les parents sont chéris, les inclinations pures et les liaisons sincères. Ce n’est que chez les peuples bien gouvernés qu’on trouve des exemples de ces vertus qui demandent dans les hommes toute l’énergie et la simplicité de la nature. Les gouvernements tyranniques sont pleins de fils ingrats, d’époux coupables, de faux amis ; j’en atteste l’histoire de tous les peuples. Mon dessein n’est ici que de parler de la France ; on peut dire qu’elle n’a dans ses mœurs civiles ni vertus ni vices, elles sont toutes de bienséance ; la piété filiale est le respect ; l’amour, un nœud civil ; l’amitié, un amusement, et toutes ensemble l’intérêt.

Il est une autre espèce de mœurs, les mœurs privées, déplorable tableau que la plume se refuse quelquefois à tracer ; elles sont l’inévitable suite de la société humaine, et dérivent de la tourmente de l’amour-propre et des passions. Les cris des déclamateurs ne cessent de les poursuivre sans les atteindre : les peintures qu’ils en font ne servent qu’à achever de les cor­rompre. Elles se cachent souvent sous le voile de la vertu, et tout l’art des lois est de les repousser sans cesse sous ce voile. Voilà ce qui est resté des sacrés préceptes de la nature dont nous reverrons encore l’ombre civilisée. La nature est sortie du cœur des hommes et s’est cachée dans leur imagination ; cependant si la constitution est bonne, elle réprime les mœurs ou les tourne à son profit, comme un corps robuste se nourrit d’aliments vils.

Les lois des propres, des testaments, des tutelles sont l’esprit du respect filial. Les lois des acquêts, des donations, des dots, des douaires, des séparations, du divorce sont l’esprit du lien conjugal : les contrats sont l’esprit de l’état civil, ou ses rapports sociaux, qu’on appelle intérêts. Voilà les débris de l’amitié, de la confiance ; la violence des lois fait qu’on peut se passer de gens de bien.