Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, I, 1908.djvu/379

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perversité, est nulle ; Rous­seau n’a point tout dit quand il caractérise la volonté incommunicable, imprescrip­tible, éternelle. Il faut encore qu’elle soit juste et raisonnable. Il n’est pas moins criminel que le souverain soit tyrannisé par lui-­même que par autrui, car alors, les lois coulant d’une source impure, le peuple serait esclave ou licencieux, et chaque individu serait une portion de la tyrannie et de la servitude. La liberté d’un peuple mauvais est une perfidie générale, qui, n’attaquant plus le droit de tous ou la souveraineté morte, attaque la nature qu’elle représente. Je reviens à moi, et je suis convaincu que l’institution reçue avec joie et sous la foi du serment par le peuple est inviolable, tant que l’administration sera juste.

J’ai dit que l’Assemblée nationale avait mis bas ses pouvoirs ; ses décrets, purement fictifs, n’avaient force de loi qu’après la sanction. Quand le législateur décerna des statues, il fit bien de les ériger au nom du peuple, et non point en son nom. La reconnaissance, comme la volonté d’une nation, ne peut sortir que de sa bouche et de son cœur ; usurper les droits de sa liberté c’est tyrannie, usurper ceux de sa vertu c’est sacrilège, et le crime est plus grand encore. Si l’assemblée eut levé une statue en son nom à J.-J. Rousseau, elle aurait paru un monument adroit, qui consacrait l’usurpation sous l’appât de la piété publique, et le mensonge aurait pu renverser le simulacre et en décerner un autre.

C’est par cette précision à poser les bornes de sa mission que l’assemblée fut conduite au dessein de poser celle des pouvoirs. Un corps social a manqué ses proportions quand les pouvoirs ne sont pas également distraits l’un de l’autre, que le peuple trop éloigné de sa souveraineté est trop près du gouvernement ou trop soumis, en sorte qu’il ressente plutôt l’obéissance que la vertu ou la fidélité, que la puissance législative est trop voisine de la souveraineté et trop distante du peuple, en sorte que celui-ci soit inclusivement représenté, et que le prince enfin est trop resserré entre la législation et le peuple, en sorte qu’il est comme