Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, II, 1908.djvu/505

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’étouffer les passions criminelles ; de rendre la nature et l’innocence la passion de tous les cœurs, et de former une patrie.

Les institutions sont la garantie de la liberté publique ; elles moralisent le gouvernement et l’état civil ; elles répriment les jalousies, qui produisent les factions ; elles établissent la distinction délicate de la vérité et de l’hypocrisie, de l’innocence et du crime ; elles assoient le règne de la justice.

Sans institutions, la force d’une république repose ou sur le mérite des fragiles mortels, ou sur des moyens précaires.

C’est pourquoi, de tout temps, la politique des voisins d’un peuple libre, s’ils étaient jaloux de sa prospérité, s’est efforcée de corrompre ou de faire proscrire les hommes dont les talents ou les vertus pouvaient être utiles à leur pays.

Scipion fut accusé ; il se disculpa, en opposant sa vie entière à ses accusateurs : il fut assassiné bientôt après. Ainsi les Gracques moururent ; ainsi Démosthène expira aux pieds de la statue des dieux ; ainsi l’on immola Sidney, Barneveldt ; ainsi finirent tous ceux qui se sont rendus redoutables par un courage incorruptible. Les grands hommes ne meurent point dans leur lit.

C’est pourquoi l’homme qui a sincèrement réfléchi sur les causes de la décadence des empires s’est convaincu que leur solidité n’est point dans leurs défenseurs, toujours enviés, toujours perdus, mais dans les institutions immortelles, qui sont impassibles et à l’abri de la témérité des factions.

Tous les hommes que j’ai cités plus haut avaient eu le malheur de naître dans des pays sans institutions. En vain ils se sont étayés de toutes les forces de l’héroïsme : les factions, triomphantes un seul jour, les ont jetés dans la nuit éternelle, malgré des années de vertus.

Parmi tous les cœurs qui m’entendent, il n’en est point, sans doute, qui ne soit saisi d’une horreur secrète à l’aspect de ces vérités tristes.

Ce furent elles qui m’inspirèrent le dessein généreux