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Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, II, 1908.djvu/519

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de vertus, pour exercer une magistrature dans un gouvernement faible, que pour l’exercer dans un gouvernement robuste. Dans le premier, tout le gouvernement repose sur le mérite personnel ; dans le second, sur la force et l’harmonie des institutions. Pour le premier, il faut des sages, afin qu’ils n’abusent point. Pour le second, il ne faut que des hommes ; car l’allure générale les entraîne. Dans le premier, il n’y a plus de contrat ; dans le second, il y en a un qui règle tous les mouvements et fait partout la loi. Dans le premier, il y a une action et une réaction continuelle de forces particulières ; dans le second, il y a une force commune, dont chacun fait partie, et qui concourt au même but et au même bien.

La liberté du peuple est dans sa vie privée ; ne la troublez point. Ne troublez que les ingrats et que les méchants. Que le gouvernement ne soit pas une puissance pour le citoyen, qu’il soit pour lui un ressort d’harmonie ; qu’il ne soit une force que pour protéger cet état de simplicité contre la force même…

Il s’agit moins de rendre un peuple heureux que de l’empêcher d’être malheu¬reux. N’opprimez pas, voilà tout. Chacun saura bien trouver sa félicité. Un peuple, chez lequel serait établi le préjugé qu’il doit son bonheur à ceux qui gouvernent, ne le conserverait pas longtemps…

Savez-vous bien que l’homme n’est point né méchant ; c’est l’oppression qui est méchante : c’est son exemple contagieux qui, de degré en degré, depuis le plus fort jusqu’au plus faible, établit la dépendance. Cette hiérarchie ne devrait être que dans le gouvernement, afin que, pesant sur lui-même, sa force expirât là où commence la cité.

Tant que vous verrez quelqu’un dans l’antichambre des magistrats et des tribunaux, le gouvernement ne vaut rien. C’est une horreur qu’on soit obligé de demander justice.

On veut bien être rigoriste en principes, lorsqu’on détruit un mauvais gouver¬nement ; mais il est rare que, si l’on vient à gouverner soi-même, on ne rejette bientôt ces mêmes principes pour y substituer sa volonté.