Page:Saint-Just - Œuvres complètes, éd. Vellay, II, 1908.djvu/524

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tous les rapports civils, il n’exista plus, un moment, de société ; on ne vit plus de monnaie.

L’avarice et la défiance, qui avaient produit cet isolement de chacun, rappro¬chèrent ensuite tout le monde, par une bizarrerie de l’esprit humain. Je veux parler de cette époque où le papier-monnaie remplaça les métaux qui avaient disparu.

Chacun craignant de garder les monnaies nouvelles et d’être surpris par un événement qui les eût annulées se pressa de les jeter en circulation. Le commer¬ce prit tout à coup une activité prodigieuse, qui s’accrut encore par l’empresse¬ment de tous ceux qui avaient été remboursés à convertir leurs fonds en magasins.

Comme le commerce n’avait pris vigueur que par la défiance et la perte du crédit ; comme on cessa de tirer de l’étranger, et que le change fut tourné contre nous, l’immense quantité de signes qu’on avait émis, et qui augmenta tous les jours, ne se mesura plus que contre les denrées qui se trouvaient sur le territoire. On accapara les denrées, on en exporta chez l’étranger pour des valeurs immen¬ses ; on les consomma, elles devinrent rares, et les monnaies s’accumulèrent et per¬dirent de plus en plus.

Chacun, possédant beaucoup de papier, travailla d’autant moins, et les mœurs s’énervèrent par l’oisiveté. La main-d’œuvre augmenta avec la perte du travail. Il y eut en circulation d’autant plus de besoins et d’autant moins de choses, qu’on était riche et qu’on travaillait peu. Les tributs n’augmentèrent point ; et la république, entraînée dans une guerre universelle, fut obligée de multiplier les monnaies pour subvenir à d’énormes dépenses.

La vente des domaines nationaux et les tributs étaient le seul écoulement des monnaies ; mais il rentrait trente millions par mois, et l’on en émettait trois ou quatre cents. Ainsi, le signe perdant de son prix de mois en mois, les annuités n’étaient point acquittées par des capitaux, ni l’économie soulagée par leur extinction ; mais les annuités étaient acquittées par la seule redevance du bien. Alors, l’État, qui vendait les fonds, ne se trouva plus assez riche pour en