Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/339

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nous abandonnâmes à mille plaisirs, dont nous n’avions pas encore l’expérience. Ils nous firent oublier l’esclavage, la mort présente, la perte d’un empire, l’espoir de la vengeance, tout ; nous ne sentîmes plus que les délices de l’amour. Après nous en être enivrés, nous nous retrouvâmes sans illusions sur notre état ; nous revîmes la vérité, à mesure que nos sens redevenoient tranquilles ; notre ame étoit accablée ; abattus à côté l’un de l’autre, le calme dans lequel nous étions tombés étoit triste & profond comme celui de la nature.

Je fus tiré de cet accablement par un cri d’Ellaroé ; je la regardai, ses yeux étinceloient de joie ; elle me montra les voiles & les cordages qui étoient agités ; nous sentîmes le mouvement des mers ; il s’élevoit un vent frais qui porta les deux vaisseaux en trois jours à Porto-Bello.

Je revis Matomba, il me baigna de ses larmes ; il revit sa fille, il approuva notre mariage ; le croirez-vous, mes amis ? le plaisir de me réunir à Matomba, le plaisir d’être l’époux d’Ellaroé, les charmes de son amour, la joie de la voir échappée à de si cruels dangers, suspendirent en moi le sentiment de tous les maux ; j’étois prêt