Page:Saint-Lambert - Les Saisons, 1775.djvu/340

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à aimer mon esclavage : Ellaroé étoit heureuse & son père sembloit se consoler. Oui, j’aurois pardonné peut-être aux monstres qui nous avoient trahis ; mais Ellaroé & son père furent vendus à un habitant de Porto-Bello, & je le fus à un homme de votre nation qui portoit des esclaves dans les Antilles.

Voilà le moment qui m’a changé, qui m’a donné cette passion pour la vengeance, cette soif de sang qui me fait frémir moi-même, lorsque je reviens à m’occuper d’Ellaroé dont la seule image adoucit encore mes pensées.

Dès que notre sort fut décidé, mon épouse & son père se jettèrent aux pieds des monstres qui nous séparoient, je m’y précipitai moi-même ; honte inutile ! on ne daigna pas nous entendre. Au moment où on voulut m’entraîner, mon épouse les yeux égarés, les bras étendus & jettant des crix affreux, je les entends encore, mon épouse s’élança vers moi : je me dérobai à mes bourreaux, je reçus Ellaroé dans mes bras qui l’entourèrent ; elle m’entoura des siens, & sans raisonner, par un mouvement machinal, chacun de nous entrelaçant ses doigts & serrant ses mains, formoit une chaîne autour de l’autre ;