Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/110

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autre chose.

Ceux qui ont eu le divin plaisir de l’entendre lui-même, ont tous été du même avis : sa musique perdait la moitié de son charme, quand elle passait en d’autres mains. Pourquoi ? parce que ces mille nuances de sentiment qu’il savait mettre dans une exécution d’apparence très simple faisaient partie de l’idée, et que l’idée, sans elles, n’apparaissait plus que lointaine et comme à demi effacée.

Sans être ni un grand chanteur ni un grand pianiste, il savait donner à certains détails en apparence insignifiants une portée inattendue, et l’on ne s’étonnait plus de la sobriété des moyens en présence du résultat acquis.

Ce n’est pas assez de dire que, chez lui, le chant ressort de la déclamation, ce qui serait également vrai chez plusieurs autres et même dans toute l’ancienne École française ; il y a plus, la parole est comme un noyau sur lequel la musique se cristallise ; la forme, si belle qu’elle puisse être, lui est subordonnée, et l’expression reste le but principal. Si l’on méconnaît ce point de vue, ses œuvres sont envisagées sous un faux jour et prennent une signification toute différente de celle que l’auteur a voulu leur donner. La jeunesse actuelle, éprise de formes compliquées jusqu’à l’inextricable, à cent lieues de la recherche de la vérité dans l’expression vocale et de la simple beauté, privée de l’audition directe de la musique du maître par lui-même, ne saurait la comprendre ni l’aimer. Les exécutants en ont déjà perdu la clef ; la manie des mouvements accélérés,