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Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/119

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grandeur, chacun de ces astres ayant ses admirateurs, voire ses fanatiques. Quant aux dieux du piano, la race en semblait à jamais éteinte, lorsqu’un beau jour apparut sur les murs de Paris une petite affiche toute en longueur, portant ce nom : Antoine Rubinstein, dont personne n’avait encore entendu parler ; car le grand artiste avait la coquetterie téméraire de dédaigner le concours de la presse, et aucune réclame, aucune, vous m’entendez, n’avait annoncé son apparition. Il débuta par son concerto en Sol majeur, avec orchestre, dans cette ravissante salle Herz, de construction si originale et d’aspect si élégant, dont on ne peut plus se servir aujourd’hui. Inutile de dire que pas un auditeur payant n’était dans la salle ; le lendemain, l’artiste était célèbre, et l’on s’étouffait à son second concert. J’y étais, à ce second concert ; et, dès les premières notes, j’étais terrassé, attelé au char du vainqueur ! Les concerts se succédèrent et je n’en manquai pas un. On me proposa de me présenter au triomphateur ; mais, malgré sa jeunesse, — il n’avait alors que vingt-huit ans, — malgré sa réputation d’urbanité, il me faisait une peur horrible ; l’idée de le voir de près, de lui adresser la parole, me terrifiait positivement. Ce ne fut que l’année suivante, à sa seconde apparition dans Paris, que j’osai affronter sa présence. La glace, entre nous deux, fut bien vite rompue ; je conquis son amitié en déchiffrant sur le piano la partition d’orchestre de sa symphonie