Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/120

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Océan. Je déchiffrais assez bien alors, et, de plus, sa musique symphonique, taillée à grands plans, enluminée en teintes plates, n’était pas d’une lecture très difficile.

A partir de ce jour, une vive sympathie nous réunit ; la naïveté, l’évidente sincérité de mon admiration l’avaient touché. Nous fréquentant assidûment, nous jouions souvent a quatre mains, soumettant à de rudes épreuves les pianos qui nous servaient de champ de bataille, sans pitié pour les oreilles de nos auditeurs. C’était le bon temps ! nous faisions de la musique avec passion, pour en faire, tout simplement, et nous n’en avions jamais fait assez. J’étais si heureux d’avoir rencontré un artiste vraiment artiste, exempt des petitesses qui parfois font un si triste cortège aux plus grands talents ! Il revenait chaque hiver, et toujours grandissait son succès et se consolidait notre amitié, si bien qu’une année il me demanda de prendre la direction de l’orchestre dans les concerts qu’il se proposait de donner. J’avais peu dirigé encore et j’hésitais à accepter cette tâche ; je l’acceptai cependant et fis dans ces concerts (il y en eut huit) mon éducation de chef d’orchestre. Rubinstein m’apportait à la répétition des partitions manuscrites, griffonnées, pleines de ratures, de coupures, de « paysages » de toute sorte ; jamais je ne pus obtenir qu’il me fit voir la musique à l’avance ; c’était trop amusant, disait-il, de me voir aux prises avec toutes ces difficultés. De plus, lorsqu’il jouait, il ne se préoccupait