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en aucune façon de l’orchestre qui l’accompagnait ; il fallait le suivre au petit bonheur, et parfois un tel nuage de sonorités s’élevait du piano que je n’entendais plus rien et n’avais d’autre guide que lu vue de ses doigts sur le clavier.

Après cette magnifique série de huit soirées, nous étions un jour dans le foyer de la salle Pleyel, assistant à je ne sais quel concert, quand il me dit : « Je n’ai pas encore dirigé d’orchestre à Paris ; donnez donc un concert pour que j’aie l’occasion de tenir le bâton ! — Avec plaisir. » Nous demandons quel jour la salle serait libre : il fallait attendre trois semaines. — « Nous avons trois semaines devant nous, lui dis-je. C’est bien, j’écrirai un concerto pour la circonstance. » — Et j’écrivis le concerto en Sol mineur, qui fit ainsi ses débuts sous un illustre patronage. N’ayant pas eu le temps de le travailler au point de vue de l’exécution, je le jouai fort mal, et sauf le scherzo, qui plut du premier coup, il réussit peu ; on s’accorda à trouver la première partie incohérente et le final tout a fait manqué.

A ce moment, Rubinstein et moi, nous étions à Paris presque inséparables et beaucoup de gens s’en étonnaient. Lui athlétique, infatigable, colossal de stature comme de talent, moi frêle, pâle et quelque peu poitrinaire, nous formions à nous deux un couple analogue à celui qu’avaient montré naguère Liszt et Chopin. De celui-ci je ne reproduisais que la faiblesse et la santé chancelante, ne pouvant prétendre à la succession de cet être