Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/139

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tout-Paris artiste et lettré d’alors a traversé dans d’inoubliables soirées. En y entrant, on était charmé, dès l’abord, par l’élégance sévère du lieu, qui n’avait rien de commun avec les nids capitonnés d’aujourd’hui : des meubles sérieux, des tableaux de prix, un orgue dont les tuyaux luisaient vaguement au fond d’une galerie ; pas de colifichets, de bibelots inutiles ; pas de palmes ni de couronnes. On sentait vaguement flotter dans l’air le parfum de l’encens brûlé en l’honneur de l’art, non de l’artiste.

Le visiteur est introduit et subit pendant quelques minutes l’influence du milieu. Une porte s’ouvre ; elle paraît vêtue avec une savante simplicité, tenant à la main un gobelet ancien d’un travail précieux, rempli de fleurs, et s’avance tranquillement, de l’air d’une femme qui se croit seule chez elle et vaque aux soins de son intérieur. Elle s’arrête surprise, reste un moment immobile, la bouche entr’ouverte, comme interloquée. Le charme opéra, instantané, foudroyant. La grande artiste avait une érudition immense, un esprit de démon ; son interlocuteur était un avocat des plus brillants. Leur conversation fut un feu d’artifice qui eut pour bouquet l’engagement de l’étoile, aux conditions qu’elle voulut.

— Quelle femme ! disait l’amateur au violoniste en sortant de cette entrevue ; quelle nature ! mais elle est merveilleuse ! mais elle est adorable ! Ceux qui m’en avaient parlé n’y connaissent rien !…