Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/170

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Les « avancés », s’ils avaient un juste sentiment des réalités, seraient navrés du succès d’Orphée. Il n’y a pas à dire, c’est d’une beauté supérieure et incontestable, et c’est cependant, — allié à un magnifique sentiment d’art et à une vision très haute de l’art dramatique en particulier, — le triomphe du bel canto, du chant le plus italien qui se puisse voir ! Il y a des couplets (« Objet de mon amour »), les cantabili ne se comptent pas ; la grande scène des Enfers n’est qu’une cavatine ; ce n’est pas par ce qu’il leur dit, mais par ce qu’il leur chante qu’Orphée séduit les Furies : ce qu’il leur dit n’a pas d’importance, le verbe est dans la note et non dans la parole. Le merveilleux récit : « Quel nouveau ciel pare ces lieux » est d’une étonnante invention ; Gluck, si inférieur d’ordinaire à Mozart dans le maniement de l’orchestre, s’y est montré plus symphoniste que lui, coloriste à la façon de Beethoven dans la Symphonie pastorale ; mais l’exquise symphonie n’est que le fond du tableau, la voix y tient la première place, attire à elle tout l’intérêt : Gluck a été un grand réformateur, mais il eût trouvé absurde de ne pas faire chanter les personnages de ses drames lyriques et d’ôter tout l’intérêt à la voix, pour le transporter entièrement dans l’orchestre, devenu le personnage principal.