Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/175

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de l’Opéra et de l’Opéra-Comique se trouvent appelés tout à coup à interpréter Don Juan. Ils font de leur mieux, et il faut leur en savoir gré. Mais comment pourraient-ils suppléer à la longue initiation, indispensable pour pénétrer tous les secrets d’un style en complet désaccord avec celui de notre époque, et dont rien ne saurait leur donner la clef ? Leur éducation tournée dans un autre sens, les habitudes qu’ils ont contractées, tout les en éloigne ; ils se promènent a travers le chef-d’œuvre, comme disait je ne sais plus qui, « en souris qui ne comprend rien à l’architecture de la grange qu’elle parcourt ».

Par bonheur pour eux, le public qui admire la grange n’en comprend pas davantage la structure. Il est conquis par le charme d’une nature d’élite, et la plus charmeresse qui fut jamais ; sans en avoir conscience, il subit celui qui émane d’une écriture impeccable et d’une élégance raffinée ; mais s’il savait apprécier à leur valeur cette écriture et cette élégance, souffrirait-il qu’on y portât de cruelles atteintes ? Ajouter des fautes de goût à des œuvres qui ne montrent pas dans tous leurs détails un goût très pur, c’est un péché ; en ajouter à la musique de Mozart, c’est un crime. Ce crime se commet journellement et impunément. Jamais, sachez-le bien, jamais je n’ai entendu le bel air de Sarastro, dans la Flûte enchantée, sans qu’il fût gâté par un changement horrible à la fin, qui n’est pas seulement une faute de goût,