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Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/176

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mais une faute d’harmonie ; et jamais je n’ai vu le public manifester la moindre aversion pour cette monstruosité.

J’ai eu l’heureuse fortune, dans ma première jeunesse, — presque dans mon enfance, — d’entendre un Don Juan beaucoup plus près de la vérité que ceux d’aujourd’hui. Mme Grisi, Mario, Lablache e tutti quanti, soutenus par un orchestre très soigneux, l’interprétaient avec des talents de premier ordre et une grande exactitude, on pourrait presque dire avec religion. Malgré mon jeune âge, je savais la partition par cœur et aucun détail ne pouvait m’échapper. Après un demi-siècle, j’ai encore dans l’oreille le sextuor « mille torbidi pensieri », la magnifique voix de Lablache, le trait de Donna Anna sur le passage « che impensata novità », que Mme Grisi faisait avec une largeur et une précision instrumentale éloignant toute idée de « roulade » et d’ornement parasite.

C’est qu’il ne suffisait pas alors, pour être admis dans le bataillon sacré des grands chanteurs, d’avoir une voix sympathique et certaines qualités ; il fallait tout, la voix, la diction et la vocalise.

Aussi n’était-on pas étonné de voir