Aller au contenu

Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

trop facile ! Tout art existe en vertu d’une convention et n’existe que par elle ; que dis-je ? le langage lui-même. Que signifient pour la grande majorité de mes lecteurs les caractères et les sons de la langue chinoise, de la langue indoue ? rien, absolument rien. Pour obéir à la raison pure, il faudrait supprimer toute langue et toute littérature, s’en tenir au geste et à l’onomatopée.

N’allons pas si loin ; ne poussons rien à l’absurde, il n’est pas nécessaire. Le vers est la forme ailée du langage, soit. Le vers est mieux encore, il est la forme pure, la forme cristallisée du langage dont la prose est l’état amorphe. Théodore de Banville a démontré comment le vers était contenu dans la prose, comment le poète ne faisait autre chose que l’en dégager.

Le chant est exactement dans le même cas ; il est impossible, entendez-vous bien, impossible de parler sans chanter, non seulement en vers, mais en prose. Dès que vous élever la voix, dès qu’un sentiment un peu vif vous surexcite, vous déclamez, et, sans vous en douter, vous improvisez un récitatif, entremêlé de fragments de mélodie. Ainsi que dans la prose on rencontre à chaque instant des vers fortuits et inconscients, de même dans toute parole une oreille suffisamment délicate et exercée découvre à tout moment des séries de sons musicaux que l’on pourrait noter. Des professeurs de déclamation défendent a leurs élèves de chanter les vers : je les défie bien de faire autrement, à moins