Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/211

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il s’engageait à ne plus jamais exécuter une note de musique allemande, ce qui était absurde et impraticable ; il le savait mieux que personne. Mais s’il ne pouvait rendre Beethoven responsable de la perte de l’Alsace, il pouvait mettre son orchestre à la disposition des compositeurs français ; c’est ce qu’il fit, et l’École française fut délivrée des chaînes qui arrêtaient son essor. Il s’est beaucoup targué depuis de l’avoir inventée ; la vérité est qu’il l’a paralysée aussi longtemps qu’il a pu, et ne lui est venu en aide que lorsqu’il y a trouvé son intérêt. Il lui faisait bien payer l’appui qu’il lui prêtait, par sa brusquerie, sa tyrannie, sa prétention à savoir toujours mieux que l’auteur comment un morceau devait être exécuté. « Je ne me trompe jamais, disait-il ; quand on aime la musique comme je l’aime, on ne peut pas se tromper. » De fait, il l’aimait sincèrement, passionnément, autant que sa nature peu artistique le lui permettait ; ce grand amour, ainsi que des services réels rendus à l’art, qu’il serait injuste de méconnaître, lui feront pardonner bien des choses, et on ne peut lui reprocher son incapacité dont il n’avait pas conscience. Elle était immense. On aura peine à croire qu’il ait fait exécuter tant de fois la Symphonie avec chœurs de Beethoven sans s’apercevoir que la partie de contralto, par une erreur du copiste, était écrite en maint endroit une octave trop haut ; c’est pourtant exact. L’immense vaisseau du Cirque-d’Hiver l’a beaucoup servi, en dissimulant des défauts d’exécution qui,