Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/224

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humaines se réduit aux grandes passions, dans leurs moments de pleine expansion et de pleine santé.

Me permettrez-vous, maître illustre et justement admiré, de ne pas partager en ceci votre manière de voir ? Peut-être ai-je quelques droits, vous en conviendrez sans doute, à prétendre connaître un peu les ressorts secrets d’un art dans lequel je vis, depuis mon enfance, comme le poisson dans l’eau : or, toujours je l’ai vu radicalement impuissant dans le domaine de l’idée pure (et n’est-ce pas dans l’idée pure que se meut la philosophie ?), tout-puissant au contraire quand il s’agit d’exprimer la passion à tous les degrés, les nuances les plus délicates du sentiment. Pénétrer dans l’âme, y circuler par petits chemins, c’est justement là son rôle de prédilection, et aussi son triomphe : la musique commence où finit la parole, elle dit l’ineffable, elle nous fait découvrir en nous-mêmes des profondeurs inconnues ; elle rend des impressions, des « états d’âme » que nul mot ne saurait exprimer. Et, soit dit en passant, c’est pour cela que la musique dramatique a pu si souvent se contenter de textes médiocres ou pis encore ; c’est que dans certains moments la musique est le Verbe, c’est elle qui exprime tout ; la parole devient secondaire et presque inutile.

Avec son ingénieux système du Leitmotiv (ô l’affreux mot !) Richard Wagner a encore étendu le