Page:Saint-Saëns - Portraits et Souvenirs, Société d’édition artistique.djvu/89

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Intellectuellement — chose étrange — l’homme est nocturne, ou tout au moins crépusculaire ; la lumière lui fait peur, il faut l’y accoutumer graduellement.

Or, c’était par torrents que les rayons lumineux jaillissaient de cette Messe de Sainte-Cécile. On fut d’abord ébloui, puis charmé, puis conquis. Une nouveauté hardie, l’introduction du texte Domine, non sum dignus dans l’Agnus Dei, révélait l’artiste religieux, qui, ne se bornant pas à suivre les modèles connus, puisait dans ses études ecclésiastiques l’autorité nécessaire à des modifications liturgiques qu’un simple laïque n’eût osé se permettre.

Musicalement, Gounod montrait dans cette œuvre une qualité autrefois banale, devenue rare par suite de nos habitudes modernes exclusivement dramatiques ou instrumentales : l’art de traiter les voix, de faire de l’intérêt vocal la base même de l’œuvre, quelle que soit du reste la part faite a l’instrumentation et à ses merveilleuses conquêtes. Volontairement ou inconsciemment, Gounod a rendu par là un service immense à son art, détourné de sa voie par les puissants génies qui, trouvant dans l’orchestre une forêt vierge à défricher, ont oublié que la voix humaine était non seulement le plus beau des instruments, mais l’instrument primordial et éternel, l’Alpha et l’Oméga, le timbre vivant, celui qui subsiste quand les autres passent, se transforment et meurent.

La musique vocale est vérité, la musique inst