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MA SORTIE DES MOUSQUETAIRES.

manda au roi ce qu’il lui plairoit faire de moi. Sur la disposition que le roi lui en laissa, il me destina à la cavalerie, parce qu’il l’avoit souvent commandée par commission, et le roi résolut me donner, sans acheter, une compagnie de cavalerie dans un de ses régiments. Il falloit qu’il en vaquât ; quatre ou cinq mois s’écoulèrent de la sorte, et je faisois toujours mes fonctions de mousquetaire avec assiduité. Enfin, vers le milieu d’avril, Saint-Pouange m’envoya demander si je voudrois bien accepter une compagnie dans le Royal-Roussillon qui venoit de vaquer, mais fort délabrée et en garnison à Mons. Je mourois de peur de ne point faire la campagne qui s’alloit ouvrir ; ainsi je disposai mon père à l’accepter. Je remerciai le roi qui me répondit très-obligeamment. La compagnie fut entièrement réparée en quinze jours.

J’étois à Versailles lorsque, le vendredi 27 mars, le roi fit maréchaux de France le comte de Choiseul, le duc de Villeroy, le marquis de Joyeuse, Tourville, le duc de Noailles, le marquis de Boufflers et Catinat : le comte de Tourville et Catinat n’étoient point chevaliers de l’ordre. M. de Boufflers étoit en Flandre et Catinat sur la frontière d’Italie ; les cinq autres à la cour ou à Paris. Le roi manda aux deux absents de prendre dès lors le titre, le rang et les honneurs de maréchaux de France en attendant leur serment, qui en effet n’est point nécessaire pour leur donner le caractère. M. de Duras ne l’a prêté que parce que les gens du roi, qui en touchent gros, s’avisèrent enfin qu’il n’avoit prêté ni celui de maréchal de France ni celui de gouverneur de Franche-Comté, et l’obligèrent par le roi de le prêter plus de trente ans après.

J’étois au dîner du roi ce même jour. À propos de rien, le roi regardant la compagnie : « Barbezieux, dit-il, apprendra la promotion des maréchaux de France par les chemins. » Personne ne répondit mot. Le roi étoit mécontent de ses fréquents voyages à Paris où les plaisirs le détournoient.