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[1693]
PROMOTION.

Il ne fut pas fâché de lui donner ce coup de caveçon et de faire entendre aussi le peu de part qu’il avoit en la promotion.

Le roi l’avoit dit au duc de Noailles en entrant au conseil, mais avec défense d’en parler à personne, même à ses collègues. Sa joie ne se peut exprimer, et il avoit plus raison d’être aise que pas un des autres.

L’engouement du duc de Villeroy dura plusieurs années. Tourville fut d’autant plus transporté que sa véritable modestie lui cachoit sa propre réputation, et qu’il n’imaginoit pas même d’être maréchal de France si on en faisoit, quoiqu’il le méritât autant qu’aucun d’eux pour le moins, de l’aveu général. Choiseul et Joyeuse parurent fort modérés, comme des seigneurs qui méritoient cet honneur et l’espéroient depuis longtemps. Ils dînoient ensemble à Paris lorsqu’un capitaine d’infanterie arriva en poste, satisfoit d’avoir ouï nommer Joyeuse à qui il l’apprit, et ne s’étoit point informé des autres ; de sorte que Choiseul fut une demi-heure dans un état violent jusqu’à ce que le courrier arriva. Ils allèrent le soir à Versailles et prêtèrent serment le lendemain avec les trois autres.

Cette promotion fit une foule de mécontents, moins de droit par mérite que pour s’en donner un par les plaintes ; mais de tous ceux-là le monde ne trouva mauvais que l’oubli du duc de Choiseul, de Maulevrier et de Montal. Ce qui exclut le premier est curieux. Sa femme, sœur de La Vallière, belle et faite en déesse, ne bougeoit d’avec Mme la princesse de Conti, dont elle étoit cousine germaine et intime amie. Elle avoit eu des galanteries en nombre, et qui avoient fait grand bruit. Le roi qui craignoit cette liaison étroite avec sa fille, lui avoit fait parler, puis l’avoit mortifiée, ensuite éloignée, et lui avoit après toujours pardonné. La voyant incorrigible et n’aimant pas les éclats par lui-même, il le voulut faire par le mari, et se défaire d’elle une fois pour toutes. Il se servit pour cela de la promotion, et