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[1693]
MORT DE MADEMOISELLE.

Tous les Mémoires de guerres civiles et les siens propres l’ont trop fait connoître pour qu’il soit nécessaire d’y rien ajouter ici. Le roi ne lui avoit jamais bien pardonné la journée de Saint-Antoine, et je l’ai ouï lui reprocher une fois, à son souper, en plaisantant, mais un peu fortement, d’avoir fait tirer le canon de la Bastille sur ses troupes. Elle fut un peu embarrassée, mais elle ne s’en tira pas trop mal.

Sa pompe funèbre se fit en entier, et son corps fut gardé plusieurs jours, alternativement par deux heures, par une duchesse ou une princesse et par deux dames de qualité toutes en mantes, averties, de la part du roi, par le grand maître des cérémonies ; à la différence des filles de France qui en ont le double ainsi que d’évêques, en rochet et camail, et des princesses du sang qui ne sont gardées que par leurs domestiques. La comtesse de Soissons refusa d’y aller ; le roi se fâcha, la menaça de la chasser et la fit obéir.

Il y arriva une aventure fort ridicule. Au milieu de la journée et toute la cérémonie présente, l’urne, qui étoit sur une crédence et qui contenoit les entrailles, se fracassa avec un bruit épouvantable et une puanteur subite et intolérable. À l’instant voilà les dames les unes pâmées d’effroi, les autres en fuite. Les hérauts d’armes, les feuillants qui psalmodioient, s’étouffoient aux portes avec la foule qui gagnoit au pied. La confusion fut extrême. La plupart gagnèrent le jardin et les cours. C’étoient les entrailles mal embaumées qui, par leur fermentation, avoient causé ce fracas. Tout fut parfumé et rétabli, et cette frayeur servit de risée. Ces entrailles furent portées aux Célestins, le cœur au Val-de-Grâce, et le corps conduit à Saint-Denis par la duchesse de Chartres, suivie de la duchesse de La Ferté, de la princesse d’Harcourt et de dames de qualité ; celles de Mme la duchesse d’Orléans suivoient dans le carrosse de cette princesse. Les cours assistèrent au service à Saint-Denis quelques jours après, où l’archevêque d’Alby officia. L’abbé Anselme, grand prédicateur, fit l’oraison funèbre. Mademoiselle, fille