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BONTÉ ET PRÉVOYANCE DE LOUIS XIII.

brillants, mais que Blaye étoit solide, une place qui bridoit la Guyenne et la Saintonge, et qui, dans les troubles, faisoit fort compter avec elle ; qu’on ne savoit ce qui pouvoit arriver ; que s’il venoit après lui une guerre civile, les chevau-légers n’étoient rien, et que Blaye le rendroit considérable, raison qui le déterminoit à lui conseiller de préférer cet établissement. C’est ainsi que mon père a eu ce gouvernement, et que les suites ont fait voir combien Louis XIII avoit pensé juste et quelle étoit sa bonté, non par ce que mon père en retira, mais par tout ce qu’il méprisa, et par la fidélité et l’importance du service dont il s’illustra.

Lorsque M. Gaston revint de Bruxelles, par ce traité tenu si secret que sa présence subite à la cour l’apprit aux plus clairvoyants, le roi l’avoit confié à mon père. Il lui dit en même temps qu’il avoit résolu de le faire un jour duc et pair, que sa jeunesse l’auroit encore retenu, mais qu’ayant promis à Monsieur de faire Puylaurens, il ne pouvoit se résoudre à le faire sans lui. Ce bon maître ajouta qu’il y avoit une condition qui lui sembleroit dure, c’étoit de faire Puylaurens le premier, s’il en faisoit encore à cette occasion. En effet, mon père s’en trouva si choqué, qu’il balança vingt-quatre heures comme si, n’étant pas duc, Puylaurens duc n’eût pas été bien au-dessus de lui que simplement son ancien. Enfin il accepta, et le fut seul quinze jours après lui. Il n’en eut pas le dégoût longtemps ; moins d’une année éteignit ce duché-pairie de la façon que tout le monde l’a su. Mon père étoit déjà chevalier de l’ordre, deux ans auparavant, n’ayant lors que vingt-sept ans juste, à la promotion de 1633. Mon grand-père fut nommé avec lui. Il étoit vieux et retiré. Il trouva que ce n’étoit pas la peine de faire connoissance avec la cour. Il chargea mon père de demander le collier qui lui étoit destiné pour mon oncle, qui avoit trente-cinq ans au juste, qui en jouiroit plus longtemps que lui. En effet, il l’a porté cinquante-sept ans et mon père soixante,