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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/120

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RÉPRIMANDES À MON PÈRE.

que, faute d’autre loisir, il se mit à écrire à M. de Bellegarde en attendant que le roi sortît pour la chasse. Comme il finissoit sa lettre, le roi sortit et le surprit comme un homme qui se lève brusquement et qui cache un papier. Louis XIII, qui de ses favoris plus que de tous les autres vouloit tout savoir, s’en aperçut et lui demanda ce que c’étoit que ce papier qu’il ne vouloit pas qu’il vît. Mon père fut embarrassé, pressé et avoua que c’étoit un mot qu’il écrivoit à M. de Bellegarde. « Que je voie ! » dit le roi ; et prit le papier et le lut. « Je ne trouve point mauvais, dit-il à mon père après avoir lu, que vous écriviez à votre ami, quoiqu’en disgrâce, parce que je suis bien sûr que vous ne lui manderez rien de mal à propos ; mais ce que je trouve très-mauvais, c’est que vous lui manquiez au respect que vous devez à un duc et pair, et que, parce qu’il est exilé, vous ne lui écriviez pas monseigneur ; » et déchirant la lettre en deux : « Tenez, ajouta-t-il, voilà votre lettre ; elle est bien, d’ailleurs, refaites-la après la chasse, et mettez monseigneur, comme vous le lui devez. » Mon père m’a conté que, quoique bien honteux de cette réprimande, tout en marchant, devant du monde, il s’en étoit tenu quitte à bon marché, et qu’il mouroit de peur de pis pour avoir écrit à un homme en profonde disgrâce et qui ne put revenir dans les bonnes grâces du roi.

L’autre réprimande fut sur un autre article et plus sérieuse. Le roi étoit véritablement amoureux de Mlle d’Hautefort. Il alloit plus souvent chez la reine à cause d’elle, et il y étoit toujours à lui parler. Il en entretenoit continuellement mon père, qui vit clairement combien il en étoit épris. Mon père étoit jeune et galant, et il ne comprenoit pas un roi si amoureux, si peu maître de le cacher, et en même temps qui n’alloit pas plus loin. Il crut que c’étoit timidité ; et, sur ce principe, un jour que le roi lui parloit avec passion de cette fille, mon père lui témoigna la surprise que je viens d’expliquer, et lui proposa d’être son ambassadeur et de conclure bientôt son affaire. Le roi le laissa dire, puis