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BATAILLE DE NEERWINDEN.

s’il ne me donneroit pas un cheval aussi bien que ces deux messieurs qui avoient disparu il y avoit longtemps. Je montai un très-joli cheval gris, sur lequel je fis encore deux charges : j’en fus quitte en tout pour la croupière du courtaud coupée et un agrément d’or de mon habit bleu déchiré.

Mon ancien gouverneur m’avoit suivi, mais dès la première charge son cheval prit le mors aux dents, et l’ayant enfin rompu le portoit deux fois dans les ennemis si d’Achy ne l’eût arrêté l’une et un lieutenant l’autre. Le cheval fut blessé, et l’homme en prit un de cavalier. Il ne fut guère plus heureux après cette aventure. Il perdit sa perruque et son chapeau ; quelqu’un lui en donna un grand d’Espagnol qui avoit un chardon, auquel il ne pensa pas, et qui le fit passer par les armes des nôtres. Enfin il gagna les équipages où il attendit le succès de la bataille et ce que je serois devenu. Pour l’autre qui avoit disparu tout d’abord et n’avoit point essuyé d’aventure, il se trouva lorsque, tout étant plus que fini, j’allois manger un morceau avec force officiers du régiment et de la brigade, et s’approchant de moi, se félicita hardiment de m’avoir changé de cheval bien à propos. Cette effronterie me surprit et m’indigna tellement que je ne lui répondis pas un mot et ne lui en parlai jamais depuis ; mais voyant de quel bois ce brave se chauffoit, je m’en défis dès que je fus de retour de l’armée.

Mes gens, à la halte de la veille, avoient sagement sauvé un gigot de mouton et une bouteille de vin, sur la nouvelle d’une action prochaine. Je l’avois expédié le matin avec nos officiers qui, comme moi, n’avoient point eu à souper, et nous avions tous les dents bien longues lorsque nous aperçûmes, de loin, deux chevaux de bât couverts de jaune, qui rôdoient dans la plaine, avec deux ou trois hommes à cheval. Quelqu’un de nous se détacha après et vit mon maître d’hôtel qu’il ramena avec son convoi, qui nous fit à tous un plaisir extrême. Ce fut la première fois que d’Achy et Puy-