Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 1.djvu/165

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Les ennemis s’étoient retirés sous Bruxelles. M. de Luxembourg fut quelque temps à ne songer qu’au repos et à la subsistance de ses troupes. Ce beau laurier qu’il venoit de cueillir ne le mit pas à couvert du blâme. Il en essaya plus d’un : celui de la bataille même, et celui de n’en avoir pas profité. Pour la bataille, on lui reprochoit de l’avoir hasardée contre une armée si bien postée et si fortement retranchée, et avec la sienne quoique un peu supérieure, mais fatiguée et pour ainsi dire encore essoufflée de la longueur de la marche de la veille ; on l’accusoit, et non sans raison, d’avoir été plus d’une fois au moment de la perdre, et de ne l’avoir gagnée qu’à force d’opiniâtreté, de sang et de valeur française. Sur le fruit de la victoire, on ne se contraignit pas de dire qu’il n’avoit pas voulu l’achever de peur de terminer trop tôt une guerre qui le rendoit grand et nécessaire. La première se détruisoit aisément : il avoit des ordres réitérés de donner bataille, et il ne pouvoit imaginer que les ennemis eussent pu en une nuit si courte fortifier leur poste déjà trop bon par une telle étendue de retranchements si forts et si réguliers, qu’il n’aperçut que lorsque le jour parut auquel la bataille fut livrée. Sur l’autre accusation, je n’en sais pas assez pour en parler. Il est vrai qu’entre quatre et cinq tout fut fini, et les ennemis partie en retraite, partie en fuite. La Gette par là étoit en notre disposition. Nous avions des pontons tout prêts. Au delà, le pays est ouvert, et il y avoit assez de jour en juillet pour les suivre de près ; mais il est vrai que les troupes n’en pouvoient plus de la marche de la veille et de douze heures de combat, que les chevaux étoient à bout, ceux de trait surtout pour le canon et les vivres, et qu’on prétendit qu’on manquoit absolument de ce dernier côté pour aller en avant, et les charrettes composées étoient épuisées de munitions.

Cossé, prisonnier, fut renvoyé incontinent sur sa parole, et les ducs de Berwick et d’Ormond presque aussitôt échangés. On eut grand soin de nos blessés et le même des prisonniers